République centrafricaine : une « malisation » de la crise ?

6 Avril 2013



Le renversement de l’ancien régime Bozizé en République centrafricaine a laissé grandes ouvertes les portes du pouvoir à l’opposition Séléka. Cette prise de pouvoir constitue un défi majeur pour ce petit pays d’Afrique centrale, plongé dans une crise interne des plus complexes.


Photo : Agence France-Presse Sia Kambou
Photo : Agence France-Presse Sia Kambou
Ce bouleversement intervient suite à l’échec de l’accord de Libreville conclu entre l’ex-président Bozizé et l’opposition - conduite par l'actuel chef de l’État, Michel Djotodia. Bozizé accuse Djotodia d’avoir refusé l’application de l’accord et trahi le peuple centrafricain, légitimant par là même le coup d’État.

Après la destitution de François Bozizé, Michel Djotodia s’est aussitôt proclamé président de la République et s’est donné trois ans, conformément à l’accord de Libreville, pour rétablir la sécurité, renforcer l’armée, et organiser des élections législatives et présidentielle, libres et démocratiques. Djotodia a également réussi à créer un gouvernement d’union nationale.

Pourtant, les conditions de vie et la sécurité en République centrafricaine se dégradent progressivement. Cela engendre de l'instabilité et une violence quotidienne. Le refus de l’Union africaine et des États d'Afrique centrale de reconnaître ce nouveau gouvernement a aggravé la situation.

L’Union africaine a aussi suspendu la participation du pays à l'organisation. C'est un message fort à l'encontre des principaux leaders de l’opposition, au pouvoir après le coup de force militaire. La Centrafrique se trouve isolée sur la scène africaine, ce qui complique davantage son avenir, que le coup d’État a complètement bouleversé.

Risque de fragmentation du tissu social

Le coup de force des rebelles pourrait fragiliser grandement le tissu social de la société. Indubitablement, les rebelles, fortement armés, pourraient profiter de leur position afin d’enclencher une opération de vengeance à l’encontre d’une partie de la population, réputée fidèle au président déchu. Une nouvelle épuration n'est pas à exclure.

D’ailleurs, plusieurs locaux et bâtiments situés dans des quartiers pro-Bozizé ont été saccagés par les rebelles, dont les bureaux des Nations Unies. Le palais présidentiel, les ministères ainsi que les villas et les habitations appartenant aux proches de l’ex-président ont été vandalisés pendant le ratissage de la capitale, pour chercher des fidèles et des proches de l’ancien régime restés sur place.

En outre, plusieurs arrestations arbitraires ont eu lieu dont la majorité concernait des ex-ministres, des proches ainsi que des alliés du régime du président Bozizé. Cela accentue le risque d’un affrontement entre les combattants de l’opposition et les partisans de l’ex-président Bozizé.

Michel Djotodia, leader du Séléka, le 29 mars 2013 à Bangui | Photo : Agence France-Presse Sia Kambou
Michel Djotodia, leader du Séléka, le 29 mars 2013 à Bangui | Photo : Agence France-Presse Sia Kambou
La Communauté internationale a condamné cette situation. Paris n’a notamment pas tardé à manifester son inquiétude. C’est dans ce sens aussi que les États-Unis ont répondu à cette menace, en appelant au calme et au dialogue national.

L’autre risque majeur, auquel pourrait être confrontée la population centrafricaine, réside dans la fragilité de l’unité affichée par l’opposition. Cette alliance en apparence assez homogène risque fortement de se disloquer après la dissolution du régime Bozizé.

L’alliance de Séléka n’a pas de programme clair. Elle cherchait à écarter le régime et prendre le pouvoir. Cela étant fait, elle pourrait se déchirer à cause des ambitions concurrentes des leaders, conduisant ainsi à un sérieux risque de guerre civile qui pourrait ouvrir la voie à des risques terroristes dans la République de la Centrafrique.

Crainte de l’expansion terroriste en Centrafrique 

La situation en Centrafrique est très complexe, et ressemble au cas malien. Bien que l’opposition semble avoir les capacités d’assurer la sécurité, l’armée régulière du pays est affaiblie depuis la montée au pouvoir de l’ex-président Bozizé, lequel craignait un coup d’État militaire.

L’absence de cette force militaire et le risque de l’explosion de la Séléka constituent une opportunité qui pourrait ouvrir la voie aux djihadistes, afin de s’installer dans le pays et de provoquer une nouvelle crise sécuritaire dans toute la région.

Justement, le climat dans la République centrafricaine demeure favorable à ces groupes djihadistes proches d’Al Qaïda pour procéder à des agressions ou des prises d’otages, et même pour contrôler une partie du territoire de la Centrafrique, engendrant par la même occasion une terreur similaire à celle développée au Mali et dans toute la région du Sahel.

En effet, les groupes djihadistes installés en Afrique ont démontré leur fluidité et leur capacité à mener des opérations très complexes à l’intérieur de plusieurs États africains, comme ce fut le cas avec les opérations de prises d’otages menées au Cameroun, à Ain Amenas en Algérie et même au Nigeria.

Des rebelles du Séléka parlent, le 29 mars 2013, avec l'un des leurs soigné dans un hôpital de Bangui | Photo : Agence France-Presse Sia Kambou
Des rebelles du Séléka parlent, le 29 mars 2013, avec l'un des leurs soigné dans un hôpital de Bangui | Photo : Agence France-Presse Sia Kambou
Si cela demeure peu probable, la République centrafricaine peut néanmoins compter sur le soutien de Paris et même du Tchad, dont le feu vert était primordial pour le lancement de ce coup d’État. C’est ainsi que la France n’a pas tardé à réagir en envoyant 350 soldats supplémentaires- pour porter le contingent à 600 soldats français, afin de garantir la sécurité de la capitale et notamment de l’aéroport.

De même, le Tchad a exercé une pression pour que la Force multinationale de l’Afrique Centrale, dont il est membre, intervienne en République centrafricaine afin de sécuriser le pays, et éviter tout dérapage qui permettrait aux djihadistes de se placer convenablement.

La République centrafricaine vit une situation très complexe qui appelle l’intervention des États de la région et de la Communauté internationale. Ces derniers devraient prendre les mesures nécessaires pour éviter tout dérapage qui serait susceptible de créer un contexte de chaos dans le pays déjà affaibli par un déficit économique énorme, et dont plus de 60% de la population vit en dessous du seuil de pauvreté.

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Mehdi RAIS
Doctorant en Relations et Droit Internationaux à l'Université de Rabat (Maroc) et membre du Centre... En savoir plus sur cet auteur